dimanche 23 août 2009

Dans mon tiroir à beaux souvenirs

J’ignore si c’est la vue de Brad Pitt sur grand écran, toute la violence sanguinaire de Quentin Tarentino, ou simplement l’adorable sourire du jeune homme assis à ma gauche, mais quand je suis sortie de la salle de cinéma, je me sentais un peu comme si j’avais été branchée un petit moment sur le deux-cent-vingt. J’avais un urgent besoin de me rebrancher sur quelqu’un en chair et en os, un homme de préférence, pour déverser un peu de ce trop plein d’électricité.

Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas retrouvé dans cet état et je me suis sentie tiraillée comme toujours. Ce désir brûlant de prédatrice me grisait totalement et en bonne junkie que je suis, j’aurais souhaité que ça ne s’arrête jamais. En même temps, j’étais craintive. Parce que, bien que cette euphorie démesurée m’ait permis de vivre plusieurs expériences extraordinaires, je sais aussi qu’elle m’a trop souvent fait faire de bien mauvais choix.

« Pourquoi n’irions-nous pas au bar « machin-chouette » comme dans le bon vieux temps? » me demande alors ma fidèle amie R***, ce qui a automatiquement fait naître en moi tout un mélange d’émotions.

Plusieurs d’entre vous savez que j’ai un passé d’alcoolique/toxicomane et que j’ai fréquenté le merveilleux monde des AA pendant environ 10 ans. Pour certaines raisons, j’ai arrêté d’assiter aux réunions il y a environ 4 ans. Ce mode de vie, ainsi que tout ce qu’il m’a apporté, n’a jamais vraiment quitté mon coeur et j’ai toujours su que tôt ou tard j’y retournerais. Bref, avant de délaisser ce milieu, j’ai été une fidèle du bar « machin-chouette » où plusieurs membres AA se réunissaient. Je m’y sentais comme chez moi. R*** m’y avait accompagné à quelques reprises, et appréciait beaucoup l’énergie qui s’y dégageait. Peut-être a-t-elle sentie plus que moi-même, que j’avais actuellement besoin de me retrouver entourée de tout ces gens? Ou peut-être en avait-elle envi tout simplement? Je n’en sais rien. J'ai accepté sans réfléchir plus qu’il ne faut, chose très rare en ce qui me concerne.

Après à peine 30 secondes sur les lieux, j’avais déjà repéré plusieurs visages familiers. D’enciens amis, d’enciens amants, d’enciens amours. Je me suis rapidement retrouvée dans les bras de ceux avec qui j’avais cheminé pendant longtemps, aceuillant calins et affection avec une joie immense et sincère. J’avais du temps à reprendre, des histoires à raconter, des histoires à écouter. Ça ne m’a pas laissé beaucoup de temps avec R*** mais dans toute la sagesse de sa vieille âme, elle a su faire preuve de compréhension, comme toujours.

Lorsque j’ai aperçu E*** entrer dans le bar et traverser la place comme un éclair, des beaux souvenirs ont refait surface et j’ai été heureuse de le voir s’assoir à mes côtés. Je me suis souvenu entre autre de plusieurs de ses appels quand je le contactais sur son téléavertisseur à toute heure du jour et de la nuit. Avec impuissance, il m’écoutait souvent répété les mêmes discours. Je me suis souvenu de son grand talent pour tout dédramatiser et me faire rire, dans des moments où personne n’aurait pu me faire rire.

Je me suis aussi souvenue cette nuit imprévue, et imprévisible, que nous avions passé ensemble dans l’intimité de mon lit...Sans aucune sexualité, aussi invraisemblable que ça puisse être. Les bêtes de sexe que nous étions avaient réussi à éviter la partie de jambes en l’air pour profiter d’un moment humain, agréable et vrai. Nos coeurs et nos âmes avaient discuté longuement, et nous avions même partagé une certaine dose de caresses afectueuses, sans arrière-pensées. Secrètement, je me suis toujours sentie très fière de cette nuit-là, qui demeure pour moi un bel accomplissement et un souvenir précieux.

Et je me suis souvenue à quel point il parlait! Mais aussi combien j’étais intéressée et fascinée par ses propos parfois maladroits, mais tellement profonds et lourds de sens. Je me suis souvenue combien je m’étais souvent vu en lui, en sa gourmandise pour les plaisirs charnels. Je retrouvais, dans sa quête de combler un quelconque vide à travers toutes ses relations, ma propre quête si semblable. Je me suis souvenu que j’avais déjà fait partie des personnes qui l’avaient jugé, mais que j’avais appris à l’accepter et l’aimer tel qu’il était. En fait, j’ai toujours eu l’étrange impression que je n’avais pas vraiment eu le choix de ressentir pour lui un amour inconditionnel. Comme si ça avait été impossible de l’aimer autrement.

E*** c’est tout un numéro, mais un maudit beau numéro. Un homme « pas ordinaire » et un sacré charmeur! Un être humain capable de mesquinerie et d’intransigeance, mais aussi capable de compréhension, d’ouverture, et d’une intelligence hors du commun. Un être humain dont la sensualité et la sensiblité dépassent celles de la plupart des gens que j’ai connu. Et bien que nous ne nous soyions jamais cotoyé sur une base régulière et que nous n’ayions jamais qualifié nos rapports d’ « amitié officielle », il a été, bien plus qu’il ne pense, une des personnes les plus significatives dans mon cheminement. Nos conversations m’ont souvent fait réfléchir. Chaque fois que nos chemins se sont croisés pendant quelques minutes, je suis repartie plus riche et avec le coeur un peu plus rempli.

Connaissant une partie de son vécu, j’aurais tendance à décrire son cheminement comme un bel exemple. À cause de son courage. À cause de tout ses efforts incroyables au fil des années. À cause de sa foi. À cause de son désir insatiable d’être simplement heureux. À cause de sa belle capacité à pardonner avec son coeur. Mais surtout, à cause de sa grande volonté à devenir une meilleure personne pour les autres...et pour lui-même. Même si je sais qu’il apprend à s’aimer un peu plus chaque jour, je suis convaincu qu’il ne voit pas en lui, toute la beauté que moi j’y vois. C’est souvent le sort des gens de notre « race ».

J’étais heureuse de le revoir dans ce bar « machin-chouette » qu’il n’aime pas, et qu’on discute. Ça m’amusait aussi de voir son regard voyager rapidement entre mes yeux, ma bouche et mon décolleté. En me regardant droit dans les yeux, il m’a exprimé qu’il me trouvait désirable et m’a complimenté. J’ai cru chacun des mots qu’il m’a dit tout le temps que nous avons passé ensemble et il m’est même arrivée d’être gênée parce que je le sentais sincère. Je dois aussi avouer que ça me stimulait, et ça me donnait envi que ça ne s’arrête pas. Je lui ai donc demandé spontanément s’il voulait venir passer la nuit chez moi afin de reprendre le temps perdu et poursuivre cette discussion si agréable. Il a accepté sans la moindre hésitation.

« Comme la dernière fois hein E*** ? On va jaser, on va rire et se donner de l’affection...Si tu savais comme j’en ai besoin! ». Voilà ce que je lui ai dit, avec une réelle et totale honnêteté. Je mourais d’envi qu’il continue de me trouver désirable et qu’il me le fasse sentir. Chaque fois qu’il parlait de m’embrasser, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer le goût qu’auraient ses lèvres, et sa langue...Je savais qu’il ne fallait pas! Mais, que voulez-vous, je suis comme ça. Pourtant, mon but en l’invitant chez moi n’était que de jaser, rire, et me coller un peu. Rien de plus, rien de moins. Je n’avais pas particulièrement le désir de coucher avec lui mais j’admets qu’à ce moment, mes envies étaient plutôt floues.

Pendant que moi et R*** attendions dans la voiture que E*** aille se chercher un café au Tim Horton, j’ai lancé : « Je ne coucherai pas avec lui. » sur un ton que je trouvais convaincant et surtout, convaincu. C’est en entendant son éclat de rire rafraîchissant comme une douche froide, que j’ai compris que pour elle, mes envies n’étaient visiblement pas si « floues ». Je me suis sentie un peu vexée, probablement d’orgueuil. Toutefois, je ne lui en ai pas tenu rigueur, puisque, après tout, elle ne connaissait pas vraiment l’historique de mes rapports avec lui...

Finalement ma fidèle amie R*** avait vu juste. Et même si j’ai passé une merveilleuse soirée et une nuit en agréable compagnie, la pesanteur du regret ne m’a pas quitté cette journée-là. Au lieu de retenir tout ce que j’ai reçu, j’accroche à ce que je n’ai pas réussi. Pourtant, nous avons jasé pendant des heures, nous avons ris au larmes, nous nous sommes collés, et nous avons même jouis! Mais moi comme toujours, j’en aurais voulu davantage et je n’ai pas réussi. Peu importe les raisons, je vis maintenant avec le sentiment d’être un peu restée sur ma faim et ça ne devrait pas être ainsi. Je me sens comme l’ingrate-éternellement-insatiable. C’est ça mon premier regret: Avoir tenté d’en avoir davantage et (parce que je dois être honnête) ne pas avoir réussi.

Le deuxième regret est le pire. C’est celui de ne pas avoir réussi à resister à ce désir. Parce que oui, je l’ai désiré. Bien plus que je ne l’aurais imaginé et bien plus que je ne l’aurais voulu. Moi ce que j’aurais souhaité, c’est qu’on ne succombe pas à cette envie. Puis ensuite le revoir dans deux jours, deux semaines, deux mois ou deux ans, et sentir à nouveau que je suis désirable à ses yeux et qu’il a envi de ma bouche, mais continuer de ne pas succomber pour qu’on s’amuse encore de ce petit jeu...Et qu’on jase, et qu’on rit, et qu’on se colle un peu. Rien de plus, rien de moins. Que l'on soit enchantés de nous revoir, sans malaise et en toute simplicité, comme nous en avions l’habitude.

Il se peut que ce soit possible, mais pour l’instant j’ai un doute que je trouve ligitime. Un doute qui prend beaucoup de place au moment où j’écris ces lignes, mais qui finira par se faire tout petit et se cacher dans un recoin de ma mémoire... Jusqu’à ce que je le revois, peut-être. Je ne regrette aucun de nos regards, aucun de nos baisers, aucun de nos frissons et aucun de nos fou-rires. Je ne regrette aucun de mes sourires, aucun de mes élans de tendresse et aucun de mes gémissements. Et même ce qui ne s’écrit pas, je ne le regrette pas. Je regrette seulement de m’être abandonnée à ces petits bonheurs, en prennant délibérément le risque de gâcher quelque chose qui avait de l’importance pour moi...Et de ne pas avoir su trouver les bons mots pour lui exprimer.

Mais je m’inquiète sûrement pour rien, et je pense tout le temps trop, je le sais. Alors maintenant que j’ai fait le tour de la question de long en large, je vais essayer de « garder ça simple ». Je vais mettre mon cerveau à « off », me foutre la paix avec ça, et classer cette histoire dans mon grand tiroir à beaux souvenirs.